dimanche 29 janvier 2017

Yoshi


On s'est donné rendez-vous avec Yoshi à l'entrée de la rivière Urauchi, pour prendre un bateau qui longe des montagnes jonchées d'une jungle infinie, et nous dépose au chemin de trek que l'on emprunte jusqu'à la cascade de Kanpirei.






Le sentier est aménagé pour offrir une balade agréable et accessible à tous, sans équipement particulier, tout en préservant intacte une faune et une flore qui inclut de nombreuses espèces rares.


Comme le célèbre chat sauvage d'Iriomote, unique à l'île.



En chemin, Yoshi évoque les six mois vécus à Iriomote il y a deux ans, travaillant dans un restaurant sur l'île adjacente de Yubu, à l'est. Après un bon sommeil, il entrepris un jour avec un ami la traversée de l'île d'est en ouest, un périple de 16 heures sans repos entamé à 2 heures du matin et terminé au coucher du soleil, dont il se demande encore comment il en est sorti vivant. La présence de son ami sans douteainsi que les voix bienveillantes des divinités qui l'ont accompagné au cœur de la jungle.




Aux chutes de Kanpirei nous rencontrons un groupe d'amis et leurs enfants qui sont venu d'Ishigaki et de Naha pour honorer les nombreuses divinités locales, résidant ici dans un écoulement d'eau, là dans un arbre centenaire.









Malgré que je ne me soit quasiment pas lavé depuis deux jours, jusqu'au bain salvateur dans l'eau fraîche des chutes de Kanpira, je me sens purifié par nos deux heures de trek dans la jungle éternelle, et je ne peux qu'imaginer l'étendue du spectre émotionnel qu'a traversé Yoshi pendant son périple.



Yoshi me dit osciller entre conformisme et revendication de sa singularité. Lorsqu’il se marginalise trop, il est rappelé à l’ordre par ses pairs. Pourquoi joue-t-il de la guitare ? Pourquoi l’enfant d’Hokkaido, pays du froid, part-il habiter sur une île du Sud ? « Le machin qui fume de la marijuana », comme l’appelait un cuistot de l’hôtel à la pause, est aussi perçu ainsi, par son côté bohème, hippy, bien qu’il soit la plupart du temps si consensuel. Pour comprendre la marginalité à laquelle renvoie cette périphrase, il faut savoir que la plante n’a rien de banal ici, une actrice célèbre d’Ishigaki ayant par exemple été carrément ostracisé pour avoir été surpris à la consommer en octobre de l’année dernière.

Après l'avoir accompagné au terminal de ferry de Uehara, d'où il rentre un jour avant moi, sirotant une bière à l'abri d'un arrêt de bus, Yoshi lance timidement :

"- Tu ne trouves pas que notre boulot est... ennuyant ? Découper des petits morceaux de papier, coller l'adresse de l'hôtel sur les étiquettes de bagages...
Je continue, - ...dérouler et re-rouler des serviettes humides pour les mains, expliquer aux clients qu'il faut tirer le rideau quand ils prennent une douche et fermer sa porte à clef quand ils sortent... Bien sûr que c'est ennuyant !
- De plus il y a un nouveau problème ; Teruya et Watanabe se sont engueulées si violemment que Teruya menace de démissionner.
Je souris - Haha ! Mais c'est plutôt drôle ça, les deux collègues les plus chiantes, tant mieux si elles se chamaillent entre elles plutôt qu'engueuler d'autres collègues plus cool.
-Pas faux."

Il aura fallu à Yoshi une heure de bateau, l'île la plus sauvage du Japon, un trek au cœur de la jungle peuplée de divinités, et une gorgée de bière décidément salvatrice pour qu'il exprime le fond de sa pensée.

Avant que sa nature taiseuse le replonge dans un silence rêveur.