Au boulot, on se
trouve inévitablement immergé dans un réseau complexe de relations. Comme dans
tout autre contexte de socialisation, au fil des premiers jours, la découverte
de nouveaux individus provoque une multitude de réactions émotionnelles.
Ainsi ai-je
rapidement été rassuré de ne rencontrer au travail que des personnes au mieux
agréables et attentionnées, au pire qui me sont indifférentes. Sans doute grâce
à l’image positive qui a précédé ma venue, même des individus qui peuvent engendrer
un certain stress chez d’autres collègues se comportent, avec moi, de façon
respectueuse.
C’est le cas de
Teruya, qui rappelle sans cesse à l’ordre Xin, une jeune chinoise en stage
de fin d’études, lui interdisant d’utiliser son smartphone et de discuter dans le lobby,
alors qu’elle est beaucoup plus tolérante à mon sujet, et prît même ma défense
lorsque le patron me demanda de me couper les cheveux.
Le nom de Nakama,
également, revient souvent lorsque je demande à certains collègues avec quelles
personnes ils et elles ont le moins d’affinités. Nakama est une belle grande
surfeuse bronzée à la longue chevelure brillante élégamment coiffée en queue de
cheval. Elle s’occupe des réservations, et passe quotidiennement à la réception pour s’assurer de son bon fonctionnement. Alors
qu’elle semble « sévère et
strict » à beaucoup, les rares fois où nous avons communiqué elle
m’a proposé non moins que de me présenter aux « légendes » du surf local. Et, étant donné son image
autoritaire et laconique, j’ai été surpris de la voir un jour s’extasier devant
une page du manuel anglo-japonais que je suis en train de composer (« Oh c’est super ! Moi aussi je
veux apprendre [l’anglais] ! »), et une autre fois de complimenter profusément ma maîtrise pourtant toute relative des baguettes. Une certaine timidité à mon égard point même dans sa façon de détourner le
regard lorsque nous parlons.
Toutes et tous me
sont sympathiques, ou presque. L’exception étant celle que j’ai tout de suite identifiée
comme « Watanabe la relou ». Relou, elle l’a en effet été dès mon
premier jour de travail, comme en attestent ces extraits de mon journal :
# M’a demandé d’inscrire
mon numéro de téléphone, montrant une case vide en face de mon nom sur la
liste des coordonnées des employés, et s’est montrée irritée quand je lui ai
dit que je n’avais pas encore de téléphone.
# M’as dit de
porter des chaussettes noires par respect du client, quand elle a vu mes
chaussettes rouges à motifs gris dont une autre collègue avait pourtant
remarqué l’élégance plus tôt dans la journée.
# M’as demandé d’écrire exclusivement en japonais dans mon calepin après que j'y ai écrit à haute voix :
« buy black socks » (« acheter
des chaussettes noires »), émoussant ainsi ma bonne volonté à suivre ces règles
qu’elle affectionne par trop.
Bon, ce n’est pas
une si mauvaise de pratiquer le japonais écrit… Et quand je lui ai avoué la
trouver « sévère » (kibishii), elle s’est défendue de ne
faire que relayer les ordres. Mais relou, elle n’a cessé de l’être par la suite :
# Quand j’ai plaisanté à l’attention d’une collègue qui partait en pause « Merci pour tes loyaux services » (osewa ni narimasu) au lieu de l’habituel « A tout à l’heure » (itterasahi), m’a expliqué le plus sérieusement du monde que je m’étais
trompé d’expression.
# M’a vu chercher
sur Google maps l’adresse d’un recycle shop et a commenté avec un
rictus condescendant que ça n’avait pas de rapport avec le travail.
# M'a défendu d'tutiliser la session d'un collègue sur le logiciel "OPERA".
Je peux comprendre la logique derrière certaines de ces injonctions, mais le ton sur lequel elles sont proférées manque de toute courtoisie. D'autres règles sont carrément absconses :
# M'a défendu d'tutiliser la session d'un collègue sur le logiciel "OPERA".
Je peux comprendre la logique derrière certaines de ces injonctions, mais le ton sur lequel elles sont proférées manque de toute courtoisie. D'autres règles sont carrément absconses :
# M’a dit qu’il
ne fallait pas jeter des emballages de gâteaux dans les poubelles de la
réception (pourtant cachées de la vue des clients), poubelles « réservées aux clients ».
# Après m’avoir
entendu adresser à un client la formule de politesse : « shitsurei shimasu. »
(Veuillez m’excuser), a corrigé : « [On
dit] shitsurei itashimasu. » (Je vous prie de m’excuser).